Louis XVI et l’exercice des mathématiques

louis xvi necessaire mathematiquesSavants et amateurs portent l’essor des mathématiques dans l’Europe des Lumières. Cette science s’applique à la mesure de l’espace et du temps, à l’astronomie, à la géographie, à l’art de la guerre, dans l’artillerie et les fortifications, à l’urbanisme et aux constructions y compris navales, à la mécanique, à toutes les techniques que cette époque porte à un point de perfection encore inégalé : l’Encyclopédie se propose alors de les rassembler, les décrire, les transmettre, comme vecteur du progrès matériel.

Un superbe objet de collection des années 1750 exprime, par sa qualité, l’excellence des techniques artisanales du temps et, par son raffinement, la destination princière pour laquelle il a été conçu. Il s’agit d’un nécessaire de mathématiques ayant appartenu à Louis XVI dans sa jeunesse : il témoigne de l’esprit et des réalisations du temps, comme de la formation et des goûts scientifiques du futur souverain.

Ce nécessaire est conservé dans la descendance de Guillaume Joseph, duc de Looz-Coswarem, qui l’avait reçu de Louis XVI. Le possesseur actuel est un membre de la Société des Cincinnati de France. Ce nécessaire a figuré dans une exposition tenue à la Malmaison en 2007.

Les nécessaires apparaissent, comme tels, sous la Régence. Ils sont constitués d’un ensemble d’objets, « l’assortiment et tout l’attirail », comme dit le Dictionnaire de Trévoux, « en une petite boîte divisée en compartiment pour renfermer différentes choses nécessaires ou commodes en voyage ». À l’origine, les nécessaires sont destinés à la consommation des nouvelles boissons de l’époque, thé, café, chocolat. Ensuite, ils sont spécialisés selon des finalités particulières, la toilette, l’écriture, les mathématiques, avec l’essor de cette science et de sa pratique au XVIIIe siècle. Les boîtes ou coffrets sont dus à des maîtres-tabletiers, les instruments de mathématiques à des maîtres fondeurs : ils en ont le monopole depuis le milieu du XVIIe siècle. Les inventions techniques de ces maîtres artisans leur valent d’être approuvées par l’Académie des Sciences et leurs auteurs obtiennent le titre d’ingénieur du Roi. C’est le cas de Pierre II le Maire qui réalisa et signa le nécessaire en question. Issu d’une lignée de maîtres, établi à Paris, quai de l’Horloge, il fut actif entre 1730 et 1760, à l’instar de son confrère Canivet. En 1760, le futur Louis XVI entre dans sa septième année. Les Enfants de France, dont il n’est pas alors l’aîné, ont pour maître de physique l’abbé Nollet, de l’Académie des Sciences ; on connaît à ce savant un nécessaire de mathématique ; il passionnait ses élèves par des expériences d’électricité statique dont les instruments sont aujourd’hui au Conservatoire national des Arts et métiers.

Dès l’âge de sept ou huit ans, le jeune duc de Berry manifeste aptitude et goût véritables pour les sciences exactes et leurs applications, pour la géographie et la cartographie. Les instruments de ce nécessaire per- mettent toute une gamme de travaux pratiques en géométrie, appliquée en particulier à l’artillerie et au tracé de cartes et plans.

Le coffret rectangulaire au fermoir ouvragé en argent est gainé de velours à l’intérieur. Le double fond du couvercle abrite deux rapporteurs, en argent et en corne. Sur le plateau sont logés compas en argent et en acier, leurs accessoires pour tracer et une équerre pliante en argent. Le fond du coffret comprend des règles parallèles, une barrette en ébène avec des godets d’ivoire pour le mélange des couleurs, un fil à plomb, adaptable à un compas de proportion en argent. Inventé par Galilée, le compas de proportion s’est répandu et adapté en Europe. Il comprend « deux branches reliées par une charnière circulaire, sur lesquelles des échelles de calcul s’utilisent avec un compas à pointe sèche » (Catalogue, p. 22). Les échelles permettent de « multiplier et de diviser les longueurs, de construire un polygone ou de déterminer la taille de solides de même poids mais de matériaux différents » (ibid). Ici, la forme et les échelles des instruments sont adaptées à des mesures et des calculs pour l’artillerie et le levé de terrain : le compas de proportion porte une échelle « pour le calcul des pièces » et une autre pour « les diamètres et poids des boulets ». Il peut faire équerre à niveau avec le fil à plomb. Les instruments de dessin, avec les règles, godets, pointes à crayon et à encre, présentent aussi une pointe à molette pour percer les calques, afin de les recopier.

À l’abbé Nollet succède Brisson en 1770. Depuis 1768, le futur Louis XVI avait l’abbé d’Argentré comme sous-précepteur chargé des disciplines scientifiques. Philippe Buache était le maître de géographie. Cet auteur distinguait la géographie physique, « l’historique », que nous appellerions humaine et enfin « la géographie mathématique ou astronomique qui sert à faire dresser géométriquement les plans de la terre et à diriger les voyages terrestres et maritimes ». Les Girault de Coursac (op. cit. p. 17) estiment que « seul Louis XVI avait le bagage mathématique nécessaire pour venir à bout de la troisième ». De fait, entre seize et vingt ans et après être monté sur le trône, il continuera à s’intéresser, avec les mêmes maîtres, aux disciplines scientifiques. Le roi suggère à Cassini, auteur de ce qui sera la première carte d’état-major, des corrections précises et exactes de la feuille de Rambouillet. Chacun sait la part qu’il prit aux instructions données à Lapérouse. Dans sa jeunesse, sur sa cassette personnelle, il fait des achats de fournitures de dessin et d’instruments propres à organiser un observatoire dans ses appartements.

Il prend deux maîtres, le dessinateur de la marine Ozanne et l’horloger Le Roy, auteur de chronomètres exacts. Il apprécie le savant Fleurieu qu’il nomme précepteur du dauphin en 1792. Il avait engagé un préparateur, Croisey, pour faire des mesures de terrain et apprêter papiers et couleurs pour les cartes.

En 1788, les comptes de Croisey énumèrent les « instruments de mathématiques nécessaires pour le service du Roi » : le total monte à près de 500 livres dont 240, la moitié, pour un pantographe ; il s’agit en outre de graphite à pinnule, niveau, planchette, alidade, déclinatoire, chaîne de 30 pieds avec 10 piquets et un compas de réduction, tous instruments de visée et d’arpentage indispensable pour les relevés géodésiques (Coursac, p. 20).

On voit que, comme son aïeul Louis XV, le souverain est toujours resté intéressé aux applications de la science géométrique. Les Lumières appellent l’alliance de l’abstraction mathématique avec la perfection des réalisations pratiques ; faber et sapiens ; la main et l’intellect. On est bien au-delà des travaux de serrurerie auxquels la postérité dénigrante aura voulu ramener les loisirs de Louis XVI. Ce dernier aurait donc offert, lors d’un de ses passages à la cour de France, au duc belge de Looz-Coswarem, courtisan de la régente des Pays-Bas Marie-Christine, sœur de Marie-Antoinette, le nécessaire de mathématique de sa jeunesse. Les descendants de ce prince médiatisé, issu d’une des plus anciennes familles du pays de Liège et illustré durant la Guerre de Sept Ans, ont conservé ce présent royal, dont nous leur sommes reconnaissants qu’ils nous le proposent à faire connaître.

 

Bibliographie :

  • Indispensables nécessaires, catalogue de l’exposition d’octobre 2007 au Musée National des Châteaux de Malmaison et de Bois-Préau, articles signés d’Amaury Lefèbure.
  • Sciences et curiosités à la Cour de Versailles. Versailles 2010, page 273. P. et P. GIRAULT de COURSAC, Le voyage de Louis XVI autour du monde, 2° éd. F.X de Guibert, Paris 2000.