Le cimetière de Picpus : un lieu chargé d’histoire et de souvenirs

Source : Cin Echo n° 11

Au 35 rue de Picpus, dans le 12e arrondissement de Paris, se trouve tout au fond du couvent des dames des Sacrés Cœurs, le petit cimetière de Picpus. À l'origine était édifié en ce lieu le couvent des chanoinesses de Saint Augustin ou de Notre-Dame de la victoire de Lépante.


Le 2 mai 1792, la Révolution ferma ce couvent et ses religieuses se dispersèrent. Devenu bien national, il fut mis en location et le citoyen Riédain qui l’avait loué, reçut le 25 prairial (13 juin) 1794 la visite de deux fonctionnaires de la commune de Paris, qui visitèrent son jardin sans en donner la raison. Le lendemain, Lescot-Fleuriot, maire de Paris, décidait d'y établir un cimetière « pour recevoir les cadavres de ceux que le glaive de la Loi a frappés ». Le Tribunal révolutionnaire y envoya presque quotidiennement des fournées importantes. L'une des deux fosses, celle de 8 m sur 5, était remplie lors de la dernière exécution, le 9 thermidor, presque au tiers par un millier de cadavres ; l'autre en possédait 354, répartis sur une épaisseur de trois lits. C’est ainsi qu’au total, entre le 13 juin et le 27 juillet 1794, elles reçurent les corps des 1306 victimes (chiffre officiel) décapitées à proximité immédiate de la place du Trône renversé (ex place du Trône, devenu place de la Nation) et composées de 1 109 hommes (108 gens d’église, 108 ex-nobles, 178 gens d’épée, 136 de robe et 579 du peuple) et 197 femmes (23 religieuses, 51 ex-nobles et 123 du peuple).
Cinq mois plus tard, la Commune de Paris ordonnait de « faire combler les deux fosses pratiquées dans le cimetière du ci-devant couvent de Picpus ». L'ensemble du domaine fut ensuite vendu le 19 fructidor de l’an III (5 septembre 1795).


Or, à cette époque, la princesse régnante Amélie de Hohenzollern-Sigmaringen, née princesse de Salm-Kirburg, réussissait à retrouver l'endroit où avaient été inhumés les restes de son frère, le prince Frédéric III de Salm-Kirburg, décapité le 5 thermidor, créateur de l'hôtel de Salm qu'occupe maintenant la grande chancellerie de la Légion d'honneur. Le 24 brumaire (14 novembre 1796), elle acheta le petit terrain rectangulaire renfermant les deux fosses communes. De leur côté, à leur retour de l'émigration, en 1800, deux filles de la duchesse d’Ayen, Dominique de Noailles, marquise de Montagu, et Adrienne de Noailles, épouse du général marquis de La Fayette, recherchèrent l'endroit où avaient été inhumés leur grand-oncle, le maréchal duc de Mouchy, leur grand-tante, la maréchale, leur grand-mère, la maréchale de Noailles, leur mère, la duchesse d’Ayen, leur sœur, la vicomtesse de Noailles, tous guillotinés place du Trône. Les deux sœurs décidèrent d'acheter le monastère avoisinant afin de préserver cette parcelle de tout voisinage profane. La chapelle avait été détruite, mais le rez-de-chaussée du couvent pouvait être utilisé pour y célébrer des messes pour les victimes. Aussi fondèrent-elles une société composée des familles qui avaient été inhumées en ces lieux, afin de pouvoir acheter par souscription le terrain avoisinant les fosses et de reconstituer l'ancien domaine des chanoinesses. La société ainsi créée (aujourd’hui « Fondation de l’Oratoire et du cimetière de Picpus »), affecta la partie du terrain contigüe à la parcelle, à un cimetière privé réservé aux descendants des guillotinés. Ce fut le « cimetière de l'Oratoire » agrandi en 1817 puis en 1855. La première inhumation eut lieu en 1805. La seconde en 1807 fut celle d’Adrienne de Noailles qui reposa tout près du mur de l'enclos et où son mari, le général marquis de La Fayette, la rejoignit en 1834.


la fayette picpusLa tombe du général est particulièrement honorée et chaque année, le 4 juillet, a lieu en présence de l’ambassadeur des États- Unis, une cérémonie franco-américaine qui remonte au 4 juillet 1917 en présence du général Pershing et du colonel Stanton, auteur du fameux « La Fayette, nous voici ». Convoquée conjointement depuis 1978 par la Société des Fils de la Révolution américaine (à l’origine de cette manifestation dès 1897) et la Société des Cincinnati de France, cette cérémonie comporte la relève du drapeau américain qui flotte en permanence sur la tombe du général. C’est ainsi qu’en 1960, le drapeau aux 48 étoiles, qui venait d'être remplacé par un neuf aux 50 étoiles, fut destiné à Anderson House en souvenir de la réunion triennale organisée l'année précédente à Paris et qui avait comporté une cérémonie à Picpus le 4 juin. À noter que sous l'occupation, le drapeau a été remplacé deux fois par le gardien, sur l'ordre du Secrétaire général des Sons, le vicomte Charles Benoît d'Azy. Il est même arrivé que des officiers allemands se rendent sur place mais apparemment sans rendre compte de leur visite à leur hiérarchie.


Dernières précisions : les murs de la chapelle sont ornés de grandes plaques de marbre portant les noms de la totalité des personnes enterrées dans les deux fosses, d'après les minutes de leur procès qui ont été conservés. Dans le jardin, à côté du cimetière, se trouvait la grotte qui « servait » aux fossoyeurs pour dépouiller les corps de tous leurs vêtements avant de les revendre, tous les autres objets ayant été confisqués avant de monter dans la charrette fatale. Une plaque en garde le souvenir. Enfin un grand espace de pelouse et d’arbres sépare la chapelle de l'entrée des deux cimetières. Espace de méditation et de prière…